Le choix des synergies (7) : partenaire ou co-acteur ?

Alexis KUMMETAT
5 min readJul 6, 2022

Il est des situations dans lesquelles, pour atteindre l’objectif, on doit faire appel aux moyens et compétences d’acteurs extérieurs à l’entreprise. Pas des prestataires ou des sous-traitants, sur lesquels on a de vrais leviers d’action, contractuels et/ou financiers. Des acteurs avec lesquels on partage, a priori, les mêmes enjeux, ou en tous cas des enjeux proches. Mais qui peuvent décider de s’engager avec vous. Ou pas.

Cela peut viser à proposer une gamme élargie de services ; ou un projet de territoire, par exemple, associant des acteurs privés, publics, des petits, des grands ; ou une dynamique associative, dans laquelle les adhérents peuvent être de simples spectateurs ou des contributeurs, et décider de rester, ou de s’en aller.

L’entreprise vraiment élargie

Le concept « d’entreprise élargie » pourrait décrire ces situations, mais il n’est en réalité pas adapté à ces cas extrêmes. Car il a été utilisé à propos d’un « éco-système » (encore un terme-valise), en réalité très souvent structuré autour de relations contractuelles, entre un centre et une périphérie. L’avantage, pour le « centre » : s’appuyer sur des moyens externalisés, et donc bénéficier d’une souplesse en cas de changement de cap, de difficultés. Pour la « périphérie » : une source d’activité, sans plus.

Dans les cas auxquels nous faisons référence, il n’y a pas nécessairement un acteur « central », car la dynamique collective regroupe des compétences et des moyens très différents, et donc non hiérarchisables entre eux.

Chacun peut avancer dans son domaine d’action et d’expertise, poursuivre ses propres buts. Mais c’est en avançant ensemble qu’ils créeront plus de valeur : pour eux-mêmes, mais aussi pour le collectif. Parce que le tout est parfois plus important que la somme des parties.

L’écueil de la bureaucratie

Dans ces systèmes qui se caractérisent par une grande diversité d’acteurs, et donc de motivations et de moyens, le pire des écueils est celui de la bureaucratie. Car qu’elle soit publique ou privée, elle se caractérise à la fois par les « silos » et le recours exclusif à « l’autorité » (le pouvoir « sur »).

Nous avons tous, sans doute, en tête bon nombre d’exemples qui illustrent les inconvénients, voire les nuisances de ces systèmes : redondance des moyens, hostilité entre services, guerre des égos, passivité, désengagement. Des retards, des surcoûts… Car la bureaucratie est destinée à tenir une place, et non à produire — et donc s’adapter aux besoins, aux contraintes, aux moyens disponibles.

Dans des dynamiques informelles, les habitudes et fonctionnements bureaucratiques sont inadaptés, et surtout à proscrire.

Car dans une « coalition de volontaires », le recours à la coercition (sans moyens d’ailleurs et donc inefficace) provoquera au mieux la fuite, ou peut-être le combat — au détriment des productions communes attendues.

Parce que, dans la complexité qui caractérise ces projets, les expertises sont complémentaires et non concurrentes, et que le recours jaloux aux « prérogatives » tue la transversalité et la créativité nécessaires.

Parce que la posture de « sachant » réduit les contributions aux critiques, aux idées générales, alors que les réalisations concrètes en appellent à une mise en œuvre toujours pragmatique, et à une interaction féconde entre « experts » et « utilisateurs », entre « sachants » et « faiseurs ». A des « compromis », ou à une prise de risque, une créativité vertueuse.

Alors, pour certains, habitués à une soumission plus ou moins librement consentie, ces fonctionnements relèvent du « choc culturel ». Et peu sont à même de l’accepter. Souvent, ils les fuiront, les ignoreront, ou même les combattront — car les dynamiques informelles vont toujours plus vite que les fonctionnements bureaucratiques, dont ils exposent alors cruellement toutes les limites… Tant pis pour eux, les dynamiques volontaires avanceront de leur côté…

La formidable aventure des « Clubs TGV »

A la différence des six autres articles décrivant toute la force des synergies, et dans lesquels nous ne citions, par souci de confidentialité, aucune entreprise, nous pouvons illustrer ces principes d’action par une dynamique partagée dans le domaine public : la formidable aventure des « Clubs TGV » (Est-Européen, Rhin-Rhône, Bretagne).

A la racine de l’idée : l’envie des décideurs de la SNCF d’associer les acteurs économiques d’un territoire dans l’anticipation des « effets TGV », avant la mise en service d’une nouvelle offre.

Ces systèmes d’acteurs volontaires ont donc associé le transporteur, expert des mobilités et des services associés, et une multitude d’acteurs du territoire, désireux de bénéficier, et pour les plus volontaires, de prendre part aux effets positifs de l’arrivée de la grande vitesse ferroviaire (mobilités locales, tourisme, attractivité et marketing territorial…). Voire de limiter les conséquences non désirées, comme la transformation du territoire en « zone dortoir » au profit de centres d’activité désormais plus accessibles. Ou l’inflation des prix de l’immobilier, bénéficiant à certains calculs rentiers mais non aux activités productives.

Les élus et collectivités étaient bien entendu invités à participer à ces dynamiques partagées. Non pas en raison de « prérogatives » particulières, car il n’y a pas de hiérarchie entre les deux mondes, sinon celui de la loi commune élaborée par les représentants de la nation. Mais tout simplement parce que services de l’État et des collectivités sont potentiellement à la manœuvre dans un certain nombre de domaines — et pas seulement ceux du financement.

Et que les interactions peuvent permettre de mieux orienter des projets publics, voire de les accélérer ou les enrichir, avec des compétences et des moyens tiers.

Ces « Clubs TGV » ont suscité des synergies humaines et organisationnelles vertueuses. Entre acteurs d’un même territoire, tout d’abord. Et au profit de l’emploi, de l’attractivité, de la qualité de vie… Tout cela sur une base de contributions volontaires : apport d’expertise ou de mobilisation… On trouvera, en ligne et dans certains ouvrages, quelques récits relatifs à ces belles aventures.

Partenaire plus que co-acteur

La clé commune de tous ces projets est la capacité à créer des synergies : des dynamiques qui dépassent les silos et contribuent à une meilleure connaissance mutuelle, préalable à des actions partagées. Parce qu’il est contreproductif de chercher chez l’autre une « culpabilité », alors que la compréhension des enjeux et des contraintes de l’autre permet souvent de dépasser l’ignorance et l’antagonisme, et de rechercher des résultats « gagnant-gagnant ».

Ces synergies, ce sont aussi des moyens de dépasser le statut de « co-acteur », qui enferme chacun dans son domaine de référence, dans son silo. Et de véritablement faire vivre celui de « partenaire ». Pas au sens d’un argument marketing qui enjolive une relation de client-fournisseur. Mais de la recherche de contributions concrètes partagées. Car le temps de chacun est précieux, en particulier dans une dynamique volontaire.

Alors, tout cela s’imagine, se structure et s’anime — et souvent sur le temps long. C’est un vrai savoir-faire, qui se transmet tout au long de ces dynamiques à vivre. Et qui peut se partager plus largement. Parlons-en.

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Alexis KUMMETAT

Human centered solutions. Humanly complex dynamics facilitator. Facilitateur de dynamiques humainement complexes.